La beauté de la chose

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    Le Livre Des Débuts D'Histoires , Chapitre 1 : La Lettre de tante Lavonne

    JoieYoyu
    JoieYoyu


    Messages : 30
    Date d'inscription : 03/10/2012

    Le Livre Des Débuts D'Histoires , Chapitre 1 : La Lettre de tante Lavonne Empty Le Livre Des Débuts D'Histoires , Chapitre 1 : La Lettre de tante Lavonne

    Message  JoieYoyu Jeu 1 Nov - 19:18

    Chapitre 1 : La lettre de Tante Lavonne


    Généralement, en fin d’après-midi, Lucy Martin était assise sur le vieux divan poussiéreux près de la fenêtre donnant sur la rue, dans l’appartement du rez-de-chaussée où elle habitait avec ses parents, pour attendre son père qui rentrait du travail. Elle l’entendait toujours grimper quatre à quatre les marches en ciment du porche en fredonnant un air qu’il aimait :

    Sait-elle faire du clafoutis, Billy Boy, Billy Boy ?
    Sait-elle faire du clafoutis, charmant Billy ?
    Aussi vite qu’un chat cligne de l’œil ;
    C’est u-u-u-une…


    Son père prolongeait toujours cette dernière note en déverrouillant la porte extérieure de l’immeuble. Il tenait encore tandis que ses clefs cliquetaient dans la serrure de le porte intérieure, et reprenait son souffle en montant les deux marches qui séparaient cette porte de celle de leur appartement. Généralement, Lucy l’avait déjà ouverte pou chanter avec lui la fin de la dernière phrase :

    …une jeunette qui ne peut pas quitter sa mère.

    Mais aujourd’hui n’était pas un jour comme les autres et Lucy ne se leva pas du divan en entendant son père monter les marches. Elle ne se précipita pas pour lui ouvrir la porte et ne chanta pas avec lui la dernière phrase de la chanson. Elle ne tourna même pas la tête lorsqu’il entra dans l’appartement. Elle regardait fixement par la fenêtre, l’oreille tendue, pendant qu’il passait le courrier en revue et écoutait le répondeur dans l’entrée. Elle l’entendit ensuite traverser le couloir et sentit l’autre extrémité du divan s’affaisser tandis qu’il se laissait tomber assis à côté d’elle.
    « Je suppose que ta mère t’a déjà annoncé la nouvelle », dit-il.
    La nouvelle, c’était qu’il avait perdu son travail. Il était professeur de chimie et l’université ne le titularisait pas, lui signifiant ainsi qu’elle ne tenait pas à ce qu’il reprenne ses cours en automne. Quel que fût l’angle sous lequel on l’envisageait, c’était une mauvaise nouvelle, car cela voulait dire qu’ils n’auraient plus de quoi joindre les deux bouts.
    Toutefois, il y avait une autre nouvelle, que la mère de Lucy avait tenté de lui présenter comme bonne : ils déménageaient pour aller vivre dans l’Iowa.
    C’était à cause de tante Lavonne qu’ils déménageaient. Tante Lavonne était la tante du père de Lucy, et par conséquent la grand-tante de cette dernière. Elle était morte il y avait tout juste un mois. Lucy le savait parce que son père avait pris l’avion pour l’Iowa afin d’assister aux obsèques. Ce qu’elle ignorait cependant jusqu’à ce matin, c’était que tante Lavonne leur avait laissé sa maison.
    «  Elle l’a léguée à ton père dans son testament, avait expliqué la mère de Lucy. Et c’est là que nous allons vivre.
    -Mais notre maison, c’est ici ! » avait protesté Lucy.
    Sa maison, ce n’était pas seulement l’appartement où elle avait vécu toute sa vie. C’était la ville, le quartier, tout ce qu’elle connaissait depuis toujours. Elle pensa à l’école, où elle avait des A dans toutes les matières sauf en gym et où, finalement, après avoir été trop timide pendant des années, elle avait rencontré sa meilleure amie. Elle pensa à la vieille librairie à l’autre bout de la rue. Le propriétaire l’appelait par son prénom et mettait toujours de côté pour elle les livres qu’il jugeait susceptibles de lui plaire. Tout ce que Lucy aimait, tout ce qui constituait son univers, défila dans sa mémoire.
    « Pourquoi ? avait-elle demandé à sa mère. Pourquoi devons-nous déménager ?
    - C’est une chance merveilleuse pour nous, lui avait expliqué sa mère. Ça nous coûtera moins cher : chez tante Lavonne, nous n’aurons pas de loyer à payer. Et je pourrai tout aussi bien travailler là-bas qu’ici. »
    Elle était éditeur en free-lance. On lui envoyait des manuscrits et des articles de magazines scientifiques à réviser. Ces livres et articles étaient ennuyeux et techniques, bourrés de mots comme « pyrolyse », « mutase » et « stœchiométriques ». Lucy se demandait toujours comment sa mère pouvait supporter son travail. En réalité, elle aurait aimé être écrivain. Elle avait même écrit des histoires, mais les histoires ne rapportaient rien, contrairement à la révision d’articles et d’ouvrages scientifiques.
    « Et papa? Avait demandé Lucy.
    - Oh, je pense qu’il pourra trouver du boulot là-bas. Il y a un centre universitaire dans le coin. Il pourrait y demander un poste.
    - Non, je veux dire : est-ce qu’il a envie de déménager? »
    Il semblait à Lucy que si l’argent était la raison pour laquelle ils allaient vivre dans l’Iowa (et c’était clairement le cas), c’était certainement sa mère qui avait pris cette décision. Elle se faisait toujours du soucis pour l’argent.
    Lucy posa le même question à son père :
    « Pourquoi faut-il que nous déménagions? »
    Sa voix avait une intonation agressive parce qu’elle refoulait ses larmes.
    « Oh Lucy… dit son père en fronçant les sourcils, non qu’il fut en colère, mais il ne savait jamais comment réagir quand quelqu’un pleurait devant lui. Peut-être que ça te plaira quand tu y sera habituée. Tu as toujours voulu aller dans l’Iowa. »
    Lucy se mit à arracher machinalement le rembourrage du divan par un petit trou dans son accoudoir matelassé. Elle devait sans doute s’estimer heureuse de ce que son père ne se lance pas dans un discours sur la nécessité de faire des économies. Et il ne lui détaillait pas, comme sa mère, tous les avantages qu’il y avait à vivre dans l’Iowa : avoir une maison à eux, rencontrer d’autres enfants, se faire de nouveaux amis. La mère de Lucy lui avait présenter ce déménagement comme le début d’une vie entièrement nouvelle, et non comme la fin de celle qu’ils avaient vécu jusqu’à présent. Pourtant, Lucy n’était pas heureuse.
    « Je voulais juste faire un tour dans l’Iowa, pas m’y installer », répondit-elle à son père.
    Il fouilla dans les poches de sa veste et en sortit une liasse de papiers.
    « J’ai quelque chose à te montrer, dit-il en les dépliant.
    - Qu’est-ce que c’est?
    - Une lettre de tant Lavonne.
    - Mais elle est morte !
    - Je l’ai reçue quelques jours après sa mort. Elle a dû l’écrire juste avant. »
    Malgré elle, Lucy sentit une pointe de curiosité. La lettre de quelqu’un qui venait de mourir était bien plus intéressante qu’une lettre ordinaire.
    « De quoi parle-t-elle? demanda-t-elle.
    - D’Oscar, répondit le père de Lucy en la regardant par-dessus ses lunettes en écailles. Et de toi.
    - De moi? (Du coup, Lucy cessa d’arracher le rembourrage du divan.) D’Oscar et de moi? »
    De toutes les histoires que le père de Lucy lui avait racontées sur tante Lavonne - et il y en avait beaucoup, car le père de Lucy et son frère Byron avait grandi dans la ville où tante Lavonne avait vécue toute sa vie -, la préférée de Lucy était de loin celle d’Oscar.
    Oscar était le frère aîné de Lavonne. Il avait disparu à l’âge de quatorze ans, en 1914, alors qua tante Lavonne n’était qu’une petite fille et que les gens conduisaient encore des Ford T. Tante Lavonne s’était réveillée par une belle nui d’été pour découvrir que leur maison dans l’Iowa était perdue au milieu d’un océan. La maison était au sommet d’une colline dominant la vallée du Missouri. Pourtant, d’âpres tante Lavonne, l’océan était bien là, et ses vagues déferlaient sur la pelouse devant la maison. Et Oscar était en train de mettre un canot à l’eau. Elle s’était précipitée pour le retenir, elle l’avait appelé, mais il ne l’avait pas écoutée. Il s’était éloigné en ramant vers le large et personne ne l’avait jamais revu.
    Malheureusement, l’océan qui cernait la maison avait disparu le lendemain. Personne n’avait cru tante Lavonne, pas même quand le canot d’Oscar était revenu un mois plus tard. Lucy aimait beaucoup cette partie de l’histoire, ce matin où, alors que la famille était attablée devant le petit déjeuner, la fille de ferme qu’ils employaient leur avait apporté des œufs en leur demandant pourquoi diable il y avait un canot sur la pelouse devant la maison,. Lavonne était certaine qua c’était celui dans lequel Oscar était parti, mais ses parents ne l’avaient pas écoutée. Ils croyaient qu’Oscar s’était enfui. Finalement, ils conclurent qu’il avait dû avoir un accident et qu’il était probablement mort.
    Le père de Lucy lui tendit la lettre.
    « tu verras à quel endroit elle parle de toi, dit-il. Elle voulait que nous allions la voir. Je pensais qu’on pourrait peut-être y aller cet été, à la fin des cours, mais maintenant… »
    Lorsqu’elle leva les yeux vers lui, Lucy vit qu’il avait l’air triste. Elle commença à lire la lettre :

    Cher Shel,

    Je viens de compter les années pendant lesquelles nous ne nous sommes pas vus. Me croira-tu si je te disais que j’en ai compté dix? Tu penseras sûrement comme moi qu’il est grand temps que tu viennes me voir!
    Quand tu viendras ( note bien que je dis quand, et pas si), j’aurais quelque chose de très intéressant à te montrer. C’est un nouveau livre sur l’alchimie, c’est-à-dire nouveau pour moi, car je suis presque certaine qu’il est bien plus ancien que je n’oserai l’imaginer. Je n’ai encore jamais rien vu de semblable, Shel. Les parties de ce livre que j’ai traduites m’ont rappelé une rêve que j’ai fait récemment.
    Comme je te l’ai déjà raconté, Oscar m’avait dit quelque chose en s’éloignant du rivage la nuit de sa disparition, mais j’avais mal entendu. Eh bien, il y a quelques jours, j’en ai rêvé. J’ai rêvé que j’étais de nouveau une petite-fille cette nuit-là. Seulement, cette fois-ci, Shel, j’ai entendu ce qu’Oscar m’a dit. Je l’ai très clairement entendu dire : « Lucy t’expliquera! »
    « Expliquer quoi? Ai-je crié dans le rêve. Qu’est-ce qu’elle va m’expliquer? »
    Mais Oscar avait disparu et je ne voyais plus que la mer.
    Et puis je me suis réveillée dans mon lit, et j’étais de nouveau une vieille femme. J’ai réfléchi un moment à ce que tout cela signifiait. Qu’est-ce que Lucy venait faire là-dedans? Et que pouvait-elle bien avoir à expliquer?
    Ces questions m’ont rappelé les vieux cahiers de composition d’Oscar. Je les ai relus, bien que je connaisse leur contenu pratiquement par cœur maintenant. Mais peut-etre est-ce la le hic : ils me sont trop familiers. Je me demande s’il ne faudrait pas un regard neuf - celui de Lucy, par exemple. Oui, je sais que ça peut paraître délirant, mais je t’en prie, Shel, écris-moi dès que possible pour me dire ce que en penses.

    Je t’embrasse bien fort, ainsi que Jean et Lucy.

    Lavonne.


    L’histoire de la disparition d’Oscar avait toujours troublé Lucy - elle avait quelque chose de magique. Et maintenant, alors qu’elle finissait de lire la lettre, elle ressentait le même trouble. Tante Lavonne avait rêvé d’elle! Qu’avait dit Oscar dans son rêve? « Lucy t’expliquera! »
    Elle relut rapidement la lettre.
    «  Qu’est-ce que c’est que ce livre sur l’alchimie? demanda-t-elle?
    - Je t’ai déjà raconté qu’elle s’intéressait à ce genre de choses, répondit son père.
    - Tu veux dire, à la magie? »
    L’une des choses les plus déroutantes chez tante Lavonne ( du moins de l’avis de Lucy ) était qu’elle croyait à la magie. Elle avait consacré sa vie à son étude, lu tous les livres qu’elle avait pu trouver sur les sorts, les incantations, l’astrologie, la numérologie, les potions et l’alchimie.
    « Elle répétait toujours qu’il était arrivé quelque chose de magique à Oscar, dit le père de Lucy en secouant la tête. Elle n’a jamais cessé d’y croire. »
    Lucy devinait que son père, lui, ne croyait pas du tout au rôle de la magie dans cette histoire. Elle sentit un élan de compassion pour tante Lavonne. C’était vraiment terrible quand personne ne vous croyait!
    Elle regarda de nouveau la lettre.
    « Qu’est-ce que c’est que « ces cahiers de composition d’Oscar »? Demanda-t-elle.
    - Oscar voulait être écrivain. Il écrivait sans arrêt. Tante Lavonne avait gardé des cahiers remplis de ses notes. Une sorte de journal intime, en fait.
    - Est-ce que ces cahiers pourraient nous donner un indice sur sa disparition?
    - J’ai du mal à croire que, si c’était le cas, cela ait pu échapper à Lavonne. Elle n’exagérait pas en disant qu’elle connaissait ces cahiers par cœur.
    - Mais ils lui étaient trop familiers, comme elle le disait elle-même. Peut-être qu’ils contiennent quelque chose d’important qu’elle n’a pas remarqué. Comme elle le disait, il faut un regard neuf », fit Lucy.
    Et pour la première fois depuis le début de la journée, l’idée d’aller vivre dans l’Iowa ne lui parut tout compte fait pas si pénible.

      La date/heure actuelle est Ven 26 Avr - 10:59